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L'astronote

Voici un message de paix en provenance directe de l'espace. L'astronaute vient d'entrer dans la zone de la planète Pluton et doit prendre une décision finale. À six milliards de kilomètres de la Terre, il a la possibilité et le libre arbitre de revenir sur Terre ou de se laisser errer pour l'éternité poussé par les vents stellaires jusqu'aux confins de la Voie lactée. Voici son ultime message.

L'astronote
    Terre! ô Terre!
    Quelque chose avale mon âme
    Déjà des yeux j'ai bu toutes les eaux de toutes tes mers
    Et dans ce verre d'eau que je suis en train de boire
    Je revois l'histoire de ton humanité
    Une goutte d'eau fut ton berceau
    Sera-t-elle ton tombeau?
    S'il est vrai qu'à chaque huit secondes
    Un de tes enfants meurt assoiffé
    Et que maintenant tes eaux se lèvent pour t'avaler
    Je ne sais plus si j'ai toujours soif d'infini
    Je ne sais plus si j'ai encore soif de toi

    Terre! ô Terre mère!
    C'est moi l'astronaute
    En fugue nucléaire vers l'harmonie des sphères
    Mon ascension supersonique
    Vers le champ magnétique de la Voie lactée
    Pourrait bientôt commencer
    Enfin je pourrais être libéré de ton destin

    Terre mère!
    Fleur de l'Univers mon paradis perdu
    Le monde vers lequel je m'envole
    Sera-t-il meilleur que celui-ci?

    Terre mère! Mon royaume vendu!
    Une poignée de tes enfants
    Devenus les sales seigneurs de ce monde
    Sont en train de te saigner
    C'est par la soif que ces conquistadors
    Donneront la mort aux petits aux moins forts
    Ils possèdent déjà l'or noir ils posséderont l'or bleu
    Qui possède tes sources d'eau vive possédera l'Univers
    Et la vie

    Eau secours! Eau secours! J'ai mal à mon humanité!

    Moi qui ai tant rêvé d'avoir les ailes de la liberté totale
    Pour aller boire le premier souffle de tout ce qui respire
    Voler la lumière des premiers atomes de l'Univers
    Embrasser le Grand Boum qui a mis le monde au monde
    Et retrouver la paix qui manque à ton humanité ô Terre
    Me voilà dans le ventre de cristal de mon oiseau transparent
    Et dans chaque goutte de mon sang je vibre
    Je vibre au diapason de la lumière astrale
    Mon coeur bat à l'unisson avec celui du cosmos
    Chacune de mes pensées est une fusée
    Lancée vers toi ô Terre

    Mais ici - haut
    Dans l'inconnu de cette immobile immensité
    Mon regard est devenu un trou noir qui me glace d'effroi
    Ici-haut le temps est sourd et muet
    Et maintenant même l'espace est aveugle
    À chaque seconde j'avale une avalanche de vide interstellaire
    Chacune de mes cellules asphyxie de solitude universelle
    Ma seule musique est le silence symphonique de la nuit

    Plus de père plus de mère plus de frères plus de soeurs
    Plus d'amis plus d'amour plus de fleurs plus de fruits
    Plus rien qu'un verre d'eau
    Mon seul souvenir vivant de toi

    Terre tant chérie!
    Plus je te fuis et plus je sens
    Que mon rêve de liberté part à la dérive
    Je vole j'avance vers partout à la fois
    Mais dans mon âme partout c'est nulle part
    À la mesure de ma fuite
    Le mystère des étoiles s'agrandit
    Et rien de tout ce qui se vit sur Terre
    Ne m'est maintenant palpable

    Malgré les merveilles qui me plongent dans l'extase
    Malgré la perfection de l'absolu qui s'étale devant moi
    Malgré cet envol glorieux loin de toutes tes misères
    Tu me manques tu me manques ô humanité!
    J'ai le mal de Terre!

    En quoi la paix peut-elle être mon bien suprême
    Si je ne peux la partager avec tous les êtres humains?
    Terre! Terre de mes amours perdues
    Tu me manques! Tu me manques! Absolument!

    Ici-haut dans l'incertitude du futur
    J'appelle de si loin que seule ta troisième oreille
    Celle de ton coeur
    Peut encore entendre mon cri sidéral

    Terre! ô Terre! Ma mère!
    Dois-je couper le cordon ombilical qui me relie à toi?
    Bientôt aucune autre communication ne sera possible
    Que par la pensée télépathique
    Et peu pourront garder avec moi ce subtil contact

    Terre! Terre!
    Es-tu encore en guerre?
    Rêves-tu encore de paix?

    Moi humain parmi les humains
    Je rêve encore d'une Terre où les bras seraient ouverts
    Où personne ne boirait ses larmes
    Je rêve d'une Terre où l'on sèmerait l'amour
    Où personne ne prendrait les armes

    À mon retour porteras-tu encore la vie?
    Auras-tu dépollué ton esprit
    Ton sol tes eaux ton azur?

    Terre! Matrice de ma chair!

    Quand j'étais tout petit je me baignais dans la rivière
    L'eau y était si pure que je pouvais la boire
    Aujourd'hui il faut laver l'eau à l'eau de Javel
    Aujourd'hui le toit du monde est troué
    En tombent les eaux d'un ciel acide oxydé
    Et la Terre n'est plus qu'un four à gaz
    Toutes les eaux de la Terre ont le cancer
    Et le sang des humains est de l'or rouge
    Échangé chaque jour sur le marché
    Contre la marée d'or noir du profit
    Qui pollue la beauté de l'humanité

    Ici-haut j'ai cherché en vain le son de la source vive
    Et celui des marées d'oies blanches
    Qui font valser le bleu du ciel
    Il ne me reste plus pour faire danser les étoiles
    Qu'un petit harmonica dont chaque astronote
    Est un appel au secours
    Assoiffé de tendresse je glisse vers toi
    Planète bleue aux vertes prairies
    Où le vent invente des vertiges dans les blés d'or
    Et dans les vagues d'eau salée

    Je reviens respirer une bouffée d'air frais
    Sur le sommet fleuri de tes montagnes
    Et à leur pied boire l'eau de source
    Avec un peu de vent solaire dans la voix je reviens
    Cueillir le feu des étoiles dans les yeux de l'amour
    Je reviens donner à mon oiseau de cristal une mélodie humaine
    Parce que la vie voyage en toi
    Ô Terre! c'est toi mon seul véritable vaisseau spatial
    Un seul voyage mène à la liberté
    C'est celui qui fait fleurir la paix
    Dans le coeur de tous les êtres humains

    Car le plus grand rêve pour toute l'humanité
    C'est d'en finir avec la pauvreté
    Quand tous les pauvres pourront boire de l'eau pure
    L'humanité enfin aura la paix et un futur

    ô Terre chérie je reviens
    Je reviens t'asperger de la paix universelle des étoiles



Texte modifié accompagnant le Concerto pour harmonica du compositeur Daniel Lessard interprété par l'auteur en 1982 avec l'Orchestre Métropolitain de Montréal, en 2001 avec l'Orchestre symphonique de Drummondville, en 2002 avec l'Orchestre symphonique de Sherbrooke et en 2005 avec l'Orchestre symphonique de Montréal.

L’Astronote, poème original de Raôul Duguay publié dans Nu tout nu, le rêveur réveillé, aux Éditions Trois-Pistoles en 1997, est un Concerto pour harmonica et orchestre symphonique du compositeur Daniel Lessard. Il fut interprété par l’auteur lors des concerts suivants :

  • Orchestre Métropolitain de Montréal à l’émission Les Beaux Dimanches (1984);
  • Grand réseau de Radio-Canada (1987) avec l’harmoniciste Claude Garden;
  • Orchestre symphonique de Drummondville (2004);
  • Orchestre symphonique de Sherbrooke (2006);
  • Orchestre symphonique de Montréal avec la Coalition Eau Secours ! (2009); 
  • Orchestre symphonique de Trois-Rivières, harmoniciste Pierre Parent, narration Stéphane Demers (2018).

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